Nous avons posé quelques questions à Guillaume Delvigne, créateur de mobilier français. À travers cette interview, il évoque sa vision de la table, sa conception du design et nous livre des conseils pour bien la choisir !
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je m’appelle Guillaume Delvigne et je suis designer. J’ai été formé à l’école de design de Nantes atlantique, qui forme plus particulièrement au design industriel. Durant mes études, j’ai été amené à séjourner à Milan, passage qui a motivé mon choix de démarrer ma carrière en Italie au sein d’une agence de design. Il faut dire que j’ai toujours été attiré par ce pays qui a une histoire forte avec le design. Il a donné naissance à plein de créateurs qui ont marqué l’histoire de ce secteur durant l’après-guerre. Cette expérience fut comme une seconde école où j’ai appris à toujours être en alerte et à ne jamais me reposer sur mes acquis.
Quel sens donnez-vous au design ?
Pour moi, c’est mon métier, ma vie : c’est tout. C’est un peu difficile à expliquer, car c’est tout simplement une évidence ! C’est un art nécessaire qui a toujours existé : les hommes préhistoriques pratiquaient une forme de design, lorsqu’ils ont commencé à mettre en forme les premiers objets. De manière inconsciente peut-être, leurs choix de mise en forme avaient à la fois une visée technique, sans doute aussi une notion d’ordre esthétique. Au fil des siècles, le design a évolué et cette dualité s’est accentuée. Le créateur doit désormais savoir jouer avec ces deux choses-là et trouver un équilibre entre fonctionnalité et esthétique. Pour ma part, il est important d’arriver à une sorte de « juste milieu ». Si l’on disait de mes créations : « Il a pensé à la rendre belle au détriment de sa fonction » ou inversement, il s’agirait d’un échec pour moi. Pour finir, j’ajouterai qu’il est important d’insuffler sa sensibilité à l’objet : d’aller au-delà de la géométrie ou des mathématiques, pour lui apporter un supplément d’âme.
En quoi la table est-elle un meuble différent pour un designer ?
Elle ne se démarque pas à proprement parler des autres types de meubles car la table fait partie des objets les plus importants de la maison au même titre que les assises et les objets d’éclairage. Néanmoins, il est vrai que la création d’une table à une dimension un peu plus complexe qu’un autre meuble. On peut facilement se dire qu’au cours des époques, des milliards de tables ont été dessinées et qu’il n’est plus possible de proposer quelque chose de nouveau. De plus, elle fait partie des meubles où il y a le moins de place pour s’exprimer. Une table, c’est essentiellement un plateau et des pieds, des éléments obligatoires pour sa fonctionnalité. C’est ça mon appréhension personnelle en tant que designer : « comment réussir à apporter quelque chose de neuf ? »
Vous avez réalisé la fameuse table Chevron, pourriez-vous nous raconter l’histoire de cette création ?
La table design Chevron, je l’ai imaginée après ma rencontre avec la marque Dasras (devenue Lignartis). Cette enseigne française avait la volonté de réaliser une table en bois massif, matériau dont elle avait le savoir-faire. À cette période, la marque travaillait également sur de nouvelles matières pour ses plateaux, comme la céramique. J’aime beaucoup l’association de ces deux matières qui est très avantageuse en matière de durabilité et d’entretien. Pour ce design, j’ai voulu mettre en valeur la structure en bois en travaillant sur de grosses sections et de grosses épaisseurs de bois. Ensuite, j’ai souhaité arrondir certaines arrêtes. Je voulais que l’on ressente le matériau dès le premier regard et que l’on devine que c’est du bois massif, même si l’on n’a pas un œil de designer.
D’où vous est venue cette idée ?
Lorsque j’ai visité l’usine, j’ai aperçu de longs morceaux de bois faisant penser à des éléments de charpentes. Je pense que cela m’a inspiré à travailler le bois de manière brute. Je suis parti sur un design de table rappelant les tréteaux de travail. Les pieds sont en compas et donnent une certaine légèreté au plateau qui semble alors à peine posé. Pour que la table tienne, il a fallu que j’ajoute une poutre centrale. Plutôt que de la rendre invisible, j’ai décidé de la faire arriver jusqu’aux extrémités de la table afin que l’on puisse distinguer sa tranche. Sur la Chevron, on peut dire que chaque élément est nécessaire dans la fonctionnalité de la table et participe éminemment à son style.
Quelles ont été les difficultés rencontrées ?
À ce moment-là, la marque souhaitait introduire une nouveauté dans leur façon de concevoir en utilisant une machine d’usinage à contrôle numérique. Cela a ouvert le champ des possibles pour réaliser certaines choses comme le dessin de la poutre centrale, qui fut réalisable grâce à cet appareil. Toutefois, il n’est pas possible de tout faire grâce à ce seul outil. De ce fait, j’ai dû adapter mon dessin aux quelques contraintes techniques rencontrées. Je ne peux pas qualifier ces contretemps de difficultés, mais plutôt de choix, qu’il a fallu faire pour rendre la fabrication de la table Chevron possible.
Quels sont les trois mots qui définiraient le mieux la table pour un designer ?
Donner trois mots pour définir la table, c’est compliqué ! Dans mon travail, j’essaie justement de me réinventer et de sortir des sentiers battus. Donner une définition de la table reviendrait à l’enfermer dans une cage sans pouvoir la faire évoluer. Cependant, il est sûr qu’il y a certains paramètres qui reviennent souvent dans mes créations, mais cela relève surtout de ma sensibilité face à l’objet, plutôt que de l’objet en lui-même. Alors dans ce cas les trois mots seraient les suivants : matériaux, équilibre et détails.
Le premier est lié à ma volonté constante de révéler la noblesse des matériaux que j’utilise. Que ce soit du bois ou du plastique, le but est toujours de sublimer la matière. Ensuite, je vais chercher à trouver un juste milieu entre fonctionnalité et élégance. Enfin, j’apporte une attention particulière aux détails. Il est important que les finitions soient précises et bien travaillées. Cela permet de s’attacher à cet objet soigné, qui va durer dans le temps et que l’on va prendre plaisir à observer.
Quels sont les matériaux que vous aimez privilégier pour une table ? Pourquoi ?
Le bois est, selon moi, le meilleur matériau. Il est noble, robuste et résistant. Néanmoins, il n’est pas toujours le meilleur choix pour un plateau de table. Tout va dépendre de l’utilisation que vous souhaitez en faire. En effet, c’est une matière vivante qui bouge et qui est notamment sujette aux conditions extérieures comme la température et l’humidité. De ce fait, il peut se fendre au fil des années si les conditions d’utilisation ne sont pas bonnes. En outre, je pense qu’une table entièrement en bois peut paraître lourde, visuellement parlant. Je pense qu’il est pertinent d’envisager d’autres matériaux pour le plateau. Malheureusement, il n’existe pas de matière parfaite : la pierre, par exemple, est lisse et ne bouge pas, mais est lourde, chère et fragile. Il faut donc trouver la meilleure solution possible. Parmi les matériaux que je privilégie figurent le stratifié, la feuille de céramique ou encore le grès. Je tiens à ajouter que le choix dépend également de ce que l’on souhaite faire de la table.
Quelles sont les problématiques qu’un designer rencontre lorsqu’il doit concevoir une table ?
Lorsque l’on dessine une table, tout n’est pas permis. Il est difficile, par exemple, d’imaginer des pieds très fins au détriment de la stabilité et de la solidité de l’objet. Il faut donc toujours veiller à ce qu’elle puisse répondre à sa fonction. On ne peut pas penser qu’au « beau » et dessiner des choses irréalistes. C’est la principale problématique pour une table comme pour tous les projets des designers. Il est primordial de garder les pieds sur terre en étant essentiellement pragmatique.
Comment définiriez-vous votre style ?
J’ai un peu de difficulté à définir moi-même le style de mes créations, car j’essaie de ne pas me caser dans tel ou tel style. Certes, il en va sans dire que mes dessins se placent plus du côté du contemporain, avec des formes simples, maîtrisées et épurées. Néanmoins, je ne suis pas dans de l’ultra radical avec des lignes droites obligatoires et une épuration totale. J’essaie de donner une forme de douceur dans les formes que je déploie. Il est important pour moi d’y insuffler de la chaleur afin de ne pas obtenir un objet froid et sans vie. C’est ce qui dicte ma façon de dessiner et par extension ce qui définit mes créations.
Vous semblez notamment apprécier les courbes dans le mobilier. Qu’apportent-elles de plus au design de la table ?
Je trouve que les courbes donnent de la sensualité au matériau, elles l’adoucissent et appellent au toucher, à la différence des arrêtes vives. Visuellement, c’est plus riche. Toutefois, je prends toujours le soin de les utiliser avec parcimonie. S’il y a trop de courbes dans le mobilier, on ne pourra pas les remarquer. Pour les mettre en valeur, il faut les associer avec quelques lignes nettes et parfaites.
Où trouvez-vous l’inspiration pour vos projets ?
L’inspiration fait partie intégrante de mon quotidien. Cela ne vient pas d’une volonté propre, mais je dirais que cela s’infuse en moi en permanence, selon les choses que j’observe. Parfois, je me sens inspiré et je prends une photo pour immortaliser ce qui me parle. Cela peut être une forme abstraite trouvée dans la nature ou bien un détail d’un objet dans la rue. Toutefois, je ne vais pas forcément formaliser ces inspirations à travers une création sur l’instant. J’accumule une sorte de « banque d’images » dans la tête, que je vais ensuite exploiter au moment opportun. Parfois, cela prend plusieurs années avant que j’utilise ces inspirations à travers la conception d’un objet. C’est un processus assez obscur en réalité !
Quel conseil donneriez-vous à nos lecteurs pour le choix de leur table ?
Avant de choisir, il faut bien réfléchir à l’usage de la table ainsi qu’à son emplacement futur. Ainsi, on pourra définir des impératifs : dimensions, forme, etc. C’est important de définir ses exigences, car souvent on s’encombre d’options qui ne sont pas nécessaires. Les tables extensibles, par exemple, sont souvent privilégiées, à juste titre car elles permettent de gagner de l’espace. Pourtant, dans les faits, on sera amené à utiliser cette fonction peut-être qu’une ou deux fois dans l’année. Il faut savoir que les tables à allonges imposent une contrainte supplémentaire au designer, ce qui limite ses possibilités esthétiquement parlant. Ce serait donc dommage de réduire son panel de choix pour des raisons qui ne sont pas absolues. Enfin, il est important de s’intéresser aux matériaux de la table et choisir ceux qui vont durer dans le temps.
Quels sont vos prochains projets design ?
En ce moment, je travaille sur des accessoires autour de la bougie : bougeoirs, photophores… Je travaille également sur une collection d’objets pour une maison qui collabore avec des artisans asiatiques. Ces derniers maîtrisent des savoir-faire différents et travaillent le bois laqué et le verre d’une autre façon que la nôtre, ce qui me permet d’avoir des échanges intéressants.
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